La IVème République : l’ombre de la IIIème République

La IVème République (1946-1958) naît dans un contexte d’après-guerre, marqué par l’humiliation du régime de Vichy. Elle se dote d’une nouvelle Constitution et d’institutions prometteuses. Cependant, la structure de la Quatrième République a rapidement pris un air de ressemblance avec la Troisième République. Comme sous la République antérieure, les gouvernements sont devenus tributaires des coalitions parlementaires fragiles et on peinait à mener des politiques durables. Ainsi, elle marque un retour à un régime d’Assemblée, véritable contrepoint du régime présidentiel souhaité par de Gaulle. 

La fin de la IIIème République : quels constats ?

L’effondrement de l’autorité de Pétain et l’ascension de de Gaulle en tant que grand héros de la France Libre s’impose comme le chef incontesté du pays. Il prépare le retour de la République après l’humiliant régime de Vichy. Le Comité français de Libération nationale se transforme, le 3 juin 1944, en Gouvernement provisoire de la République française. Ainsi, le général De Gaulle prend la tête du GPRF. 

Le 25 août 1944, Paris est enfin libre et le GPRF s’installe dans la capitale. Mais la France porte les stigmates de la guerre. Le pays est meurtri et son économie exsangue. Le GPRF entreprend d’importantes réformes pour redresser l’économie nationale. Dans le même temps, l’État reconstruit, nationalise, modernise et met en place la sécurité sociale pour protéger les Français. 

Le GPRF souhaite également refonder la démocratie bafouée par l’occupation nazie et la dictature de Pétain. Ainsi, on passera directement à la IVème République sans vouloir reprendre la IIIème.

Le droit de vote des Femmes : l’avancée féminine en fin de guerre

Pour la première fois depuis l’occupation nazie, des élections municipales sont organisées pour redonner la voix au peuple, notamment aux femmes qui viennent d’obtenir le droit de vote.

Le 18 mars 1944, le général de Gaulle déclare devant l’Assemblée consultative provisoire que « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Le 24 mars 1944, cette même assemblée adopte l’amendement Grenier qui instaure le droit de vote et d’éligibilité à toutes les femmes françaises. Adopté en 1946, le Préambule de la Constitution de la IVe République rappelle que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». La liberté, après avoir été étouffée pendant quatre années, redevient le principe fondateur de la vie politique française. 

Le référendum du 21 Octobre 1945 : vers la IV République 

Cinq mois plus tard, le 21 octobre 1945, les Français se prononcent par référendum sur l’avenir de la IIIe République. À une écrasante majorité, 96 % des suffrages ont exprimé leur volonté d’en finir avec la Troisième République. Tous les actes du régime de Vichy, sont annulés, sauf ceux jugés nécessaires pour la continuité de la nation. Le Gouvernement provisoire met aussitôt l’accent sur le rétablissement de la démocratie parlementaire.

1ère assemblée constituante 

La scène politique française est rythmée par le tripartisme, avec trois forces majeures : les communistes, les socialistes et les chrétiens-démocrates qui forment une coalition gouvernementale. 

L’Assemblée constituante élue en octobre 1945 rassemble les représentants de ces trois partis, tous engagés dans la Résistance. Cependant, les députés se divisent rapidement, en particulier sur les questions relatives au rôle de l’État.

D’un côté, les gaullistes veulent un pouvoir exécutif fort incarné par un chef d’État doté de larges pouvoirs, rompant ainsi avec la doctrine de Grévy. De l’autre, les partis de gauche défendent un régime parlementaire où le pouvoir exécutif est étroitement encadré par le Parlement qui est doté de pouvoirs constitutionnels renforcés. Ces divergences entravent l’avancée du projet de Quatrième République.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale constituante est limitée dans son action. Elle a 7 mois pour rédiger une constitution qui devra être soumise à référendum, sinon elle sera remplacée.  Le 5 mai 1946, le projet de constitution proposé par la gauche est rejeté par le peuple français : 52,8% des votants s’opposent à ce texte, malgré une participation électorale de 80%.

2ème assemblée constituante 

Une nouvelle assemblée constituante est élue le 2 juin 1946. Elle marque un léger recul du Parti communiste français et de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) et une avancée du Mouvement Républicain Populaire (MRP). Le PCF et la SFIO devront transiger avec le MRP.

Dans un discours prononcé à Bayeux, le général de Gaulle réitère l’idée d’un exécutif fort, capable de s’affranchir des jeux partisans et d’assurer la stabilité du pays. Cependant, ses idées rencontrent une forte opposition au sein de l’Assemblée constituante. De Gaulle se retrouve de plus en plus isolé et peine à imposer son point de vue.

La IVème République naît malgré les réserves de De Gaulle. Le 13 octobre 1946, le peuple français est de nouveau appelé aux urnes, pour décider d’une nouvelle Constitution. Avec 9,2 millions de vote pour « oui » contre 7,7 millions de vote « non », les électeurs ont approuvé le projet. Après deux ans de gouvernement provisoire, la quatrième République est enfin née. 

Le général de Gaulle condamne aussitôt les institutions de la IVème République. Il dénonce la toute-puissance des partis et s’inquiète de l’instabilité gouvernementale, que leur rivalité laisse présager.

Convaincu que ce système est voué à l’échec, il décide de quitter le gouvernement le 20 janvier 1946 et lance un appel à la résistance contre « les abus du régime ». Le 7 avril 1947, le Général de Gaulle annonce la création d’un nouveau mouvement politique, le Rassemblement du Peuple Français (R.P.F.), dénonçant le régime parlementaire.

La Constitution de 1946 de la IVème République

Le projet de constitution de la deuxième Assemblée constituante est approuvé le 13 octobre 1946 et promulgué le 27 octobre 1946. Ce projet contient un préambule, intitulé « Déclaration des droits de l’Homme », garantissant les libertés, les droits économiques et sociaux.

Cette nouvelle Constitution résulte d’un compromis entre les partisans du régime d’assemblée (domination du législatif) et ceux du régime parlementaire (équilibre entre les pouvoirs). 

Le « régime d’assemblée » désigne un régime politique dans lequel il existe une séparation des pouvoirs mais où une assemblée dispose d’une prépondérance de fait sur les autres pouvoirs. 

La Constitution de la IVe République consacre la souveraineté parlementaire et la primauté du pouvoir législatif. Ainsi, l’Assemblée nationale investit et renverse les gouvernements. La stabilité des gouvernements dépend du soutien des députés. En l’absence de majorité stable et face à la multiplicité des parties, les gouvernements se succèdent à un rythme effréné. Le dérèglement de la pratique des institutions de la Troisième République se reproduit : les gouvernements sont souvent contraints d’appliquer la politique dont le Parlement à l’initiative.

L’organisation institutionnelle de la IVème République

Sur le plan de l’organisation institutionnelle, le projet formalise pour l’essentiel le fonctionnement coutumier de la IIIème République. La IVème République s’organise autour d’un Parlement bicaméral avec l’Assemblée nationale et le Conseil de la République, qui se substitue au Sénat.

L’Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct. Les députés se voient élus à la proportionnelle, ce qui contrarie l’émergence d’une majorité parlementaire stable. En effet, aucun parti n’était en mesure de disposer de la majorité à l’Assemblée nationale. Des coalitions se faisaient et se défaisaient au gré des circonstances. Le Conseil de la République est élu au suffrage universel indirect par les collectivités territoriales.

Les pouvoirs du Parlement

Ici les pouvoirs du Parlement semblent très étendus : 

  • L’AN dispose de l’initiative des lois avec le Conseil des ministres ;
  • les deux chambres du Parlement examinent, discutent et votent les lois. Elles ont la possibilité de modifier les textes et d’apporter des amendements ;
  • pouvoir de destitution : l’Assemblée nationale peut renverser le gouvernement en votant une motion de censure à la majorité absolue ;
  • elle a un pouvoir de contrôle : « le gouvernement est responsable uniquement devant l’assemblé nationale ».

Cependant, les deux chambres ne sont pas sur le même pied d’égalité. L’Assemblée nationale est largement dominante. Selon l’article 13 de la Constitution, elle détient le monopole du pouvoir législatif. Seule, l’Assemblée nationale peut voter les lois, et ce droit ne peut être délégué. En cas de désaccord entre les deux chambres sur un projet de loi, c’est toujours l’Assemblée nationale qui l’emporte.

De même, si le président de la République a la responsabilité de la politique extérieure. Il doit le faire en concertation avec le Parlement. Et c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot sur les questions les plus importantes, comme la ratification des traités.

Le rôle du conseil de la République est essentiellement consultatif. C’est une chambre de réflexion et non de décision. Il ne peut pas s’opposer à la volonté de l’Assemblée nationale. 

Le Président de la IVème République

Selon les dispositions de la Constitution de la Quatrième République, le Président de la République est :

  • Élu pour sept ans par le Parlement (l’Assemblée nationale, et le Conseil de la République) ;
  • n’est rééligible qu’une fois ;
  • est irresponsable sur le plan politique. Chacun de ses actes doit être contresigné par le président du conseil et un ministre.

Le chef de l’État apparaît nettement défavorisé par rapport au régime de 1875. Il ne prend pratiquement plus part à l’œuvre législative, puisque l’initiative de la loi appartient désormais à l’Assemblée nationale et au Conseil des ministres. De même, il a pratiquement perdu tout pouvoir de nomination du président du Conseil puisqu’il doit désigner celui-ci après avoir consulté les chambres parlementaires. Enfin, le président de la République ne peut exercer le droit de grâce qu’en siégeant au Conseil supérieur de la magistrature. Ses prérogatives constitutionnelles sont ainsi très réduites, même si, la plupart étaient tombées en désuétude.

Le Président du Conseil

En revanche, le Président du Conseil détient l’essentiel du pouvoir exécutif. Il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il est responsable de la direction des forces armées et de la mise en œuvre de la défense nationale. Dans le texte initial de 1946, avant de composer son gouvernement, le président du Conseil des ministres (désigné par le chef de l’État) doit obtenir l’investiture de la majorité absolue des membres de l’Assemblée. L’exécutif procède ainsi de l’Assemblée nationale, non du Président de la République. La révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 modifie ce système et investit à la majorité simple et non plus absolue.  Ainsi, le Président du Conseil se présente avec ses ministres et son programme une fois devant l’Assemblée nationale et est investi à la majorité relative.

Par ailleurs, le président du conseil peut demander au président de la République de dissoudre le parlement, mais les conditions sont très restrictives, à tel point que cette procédure n’a été utilisée qu’une fois, en 1955. En conséquence, si le droit de dissolution de l’Assemblée nationale a bien existé, il n’a pas réussi à rétablir un équilibre entre les pouvoirs exécutifs et législatifs.

Les premiers pas de la IVème République 

Des difficultés rapidement constatables

Le 16 janvier 1947, Vincent Auriol, socialiste, se voit élu premier président de la IVe République par l’Assemblée nationale.  Dès les premiers mois, la valse des ministères commence. Les partis politiques se divisent, le tripartisme s’effondre. L’émergence d’une majorité devient presque impossible face aux divergences entre les familles politiques. 

Les gouvernements peinent à se constituer. Au terme d’interminables tractations les représentants du Parti socialiste, du M.R.P., des radicaux et quelques représentants de la droite modérée se réunissent. Au tripartisme des années 1945-1947 (communistes, socialistes et chrétiens-démocrates), succède ce que l’on a appelé la « troisième force », c’est-à-dire une coalition de partis de gauche et de droite d’accord sur les institutions de la IVème République qu’ils considèrent menacées par le Parti communiste et le Rassemblement du Peuple Français (parti de De Gaulle). Les partis de la troisième force n’ont d’autre solution que de s’allier pour sauver le régime.

En conséquence, chaque fois qu’ils ont à résoudre un problème, les députés modérés de la « troisième force » constituent une coalition de circonstance et un gouvernement ad hoc. Ils les dissolvent une fois le problème résolu, parfois au bout de quelques mois seulement. 

L’exécutif était tributaire du Parlement. L’équilibre des pouvoirs ne se voit plus assuré. L’action législative dispose de nombreux moyens d’action sur le gouvernement. Les gouvernements, pour rester en place, doivent se conformer aux désirs de la majorité parlementaire. La IVe République va renoncer à l’exercice du droit de dissolution (de la chambre basse), entraînant un déséquilibre des rapports de force, et donc la naissance d’un parlementarisme absolu. La IVème République n’a pas pu devenir un régime parlementaire équilibré. En quatorze ans, 29 gouvernements se succèdent.

Le retour de Charles de Gaulle 

En 1958, le régime est à l’agonie. Il semble fragilisé par l’instabilité gouvernementale et le poids de la décolonisation avec les mouvements nationalistes. La France perd progressivement son empire colonial, après l’Indochine, le Maroc, la Tunisie, c’est à l’Algérie de revendiquer son indépendance. L’incapacité du régime à trouver une solution viable à la question algérienne précipite sa chute. 

La guerre d’Algérie débute le 1er novembre 1954 et trouve ses racines dans les profondes inégalités sociales et dans une radicalisation du nationalisme algérien.  Le 13 mai, une crise politique éclate à Alger. Le général de Gaulle se fait rappeler en urgence par le président René Coty. Il fait son grand retour sur la scène politique. La guerre d’Algérie ne s’achèvera qu’en 1962 avec les accords d’Évian.

Le 1er juin 1958, l’Assemblée nationale investit le Général de Gaulle comme Président du Conseil, par 329 voix contre 224. Puis, le 3 juin, l’Assemblée adopte une loi constitutionnelle qui autorise le Gouvernement à rédiger un projet de Constitution qui sera soumis par référendum. La IVe République s’effondre, laissant place à la Ve République.

Conclusion

En somme, cette instabilité s’explique par la prédominance du Parlement dans le système institutionnel. Celui-ci contrôle étroitement le gouvernement en intervenant dans sa composition par le biais de l’investiture, et en mettant en cause sa responsabilité. S’il arrive qu’une majorité puisse s’accorder pour renverser l’équipe gouvernementale en place, il est en revanche souvent plus difficile qu’une autre majorité s’accorde sur la désignation d’un nouveau gouvernement.

Cette situation politique conduit à de longues crises ministérielles favorisées par le mode de scrutin proportionnel, qui contribue à l’émiettement de la représentation politique et l’absence de majorité politique stable.

Enfin, confrontée à la décolonisation, la IVème République a échoué à cause de l’impuissance politique qui découlait de la nature même de ses institutions.

Néanmoins, la quatrième République n’a pas totalement démérité. Elle a apporté un renouveau démocratique en consacrant de nouvelles libertés et en les inscrivant dans la loi, après les années d’autoritarisme sous Vichy. De plus, elle a su résister alors qu’elle se confrontait aux problèmes de l’après-guerre. Elle a laissé une œuvre économique et sociale notable.

Laisser un commentaire