La Société des Frères Musulmans : quelle forme de pouvoir ?

« Les frères musulmans sont aujourd’hui plus influents, plus grands et plus lourds dans l’équilibre du pouvoir qu’ils ne l’étaient avant les campagnes qui ont été conçues pour les écraser ». En ces termes, Basheer Nafi exprime son point de vue sur le pouvoir de la confrérie des frères musulmans qui s’est renforcé grâce aux politiques mises en place pour les dissoudre.

Une société occidentale qui pose question

La société occidentale, notamment l’administration américaine, ne devrait-elle donc pas considérer ce mouvement comme un parti et non comme une organisation terroriste pour qu’il soit dissout ? La puissance de ce mouvement alerte les occidentaux dans la mesure où il préparerait l’expansion de l’Islam radical au monde entier. Pour le comprendre il convient d’analyser sa place dans le monde arabe, puis distinctement dans le monde occidental. Cette organisation définie comme association religieuse, qui a acquis des revendications politiques, questionne sur l’avenir des sociétés. 

Créé en 1928 au nord de l’Egypte, la société des Frères musulmans est la seule organisation qui induit directement une concurrence à l’armée égyptienne. En place depuis près d’un siècle que reste-t-il de la confrérie ? Les Frères musulmans connaissent-ils un essor ou un déclin ? Ainsi, il est légitime de se demander quelle place le mouvement des Frères musulmans, en quête d’un renouveau, dispose aujourd’hui dans l’échiquier politique égyptien et dans le monde. Avant d’interroger leur implantation, il est d’emblée nécessaire de comprendre les racines, les objectifs et la stratégie de la naissance de la doctrine à son évolution actuelle. Ce qui permet par la suite de concevoir le choc réformiste du mouvement des Frères musulmans dans les sociétés musulmanes ; mais aussi la diffusion idéologique à travers un développement en occident.

De la naissance de la doctrine à son évolution actuelle

La fondation de la confrérie des Frères Musulmans

En 1928, le cheikh Hassan Al-Banna fonde l’association des Frères musulmans. L’objectif étant de créer un Etat islamique qui englobe l’ensemble des musulmans. C’est-à-dire qu’elle souhaite instaurer une république islamique à la place des autres régimes déjà en œuvre dans les autres pays que l’on peu qualifiés à majorité musulmane. Certains pays connaissaient des courants laïques auxquels ils s’opposaient pour mettre en place un retour aux concepts du Coran. 

Cette motivation implique indirectement un refus de l’influence occidentale ; le projet étant donc dirigé contre le modèle occidental. Dans les faits, cette confrérie est permise et mise en œuvre en réponse à ce qui ne va pas en Egypte à cette période. En effet le pays connaît la présence militaire britannique, la monarchie et les partis nationalistes qui ne parviennent pas à coïncider mais aussi la pauvreté et les difficultés. 

Ainsi, en étant une association aux premiers abords à motivation religieuse, elle devient par la suite une confrérie à poids social. Une fois la stratégie mise en place, l’association devient peu à peu impliquée en politique et rivalise avec l’échiquier politique égyptien. L’association s’implique politiquement pour la première fois en soutenant militairement en 1936 la révolte des arabes de Palestine.

La stratégie mise en place par la confrérie des Frères Musulmans

La confrérie devient alors un mouvement sunnite mêlant religion, activisme politique et bienfaisance. Pourtant, après dissolution en 1948 ordonnée par le premier ministre, celui-ci fut tué par un militant des Frères musulmans. La confrérie est ensuite victime d’une répression totale et Hassan al-Banna est assassiné par la police secrète. 

Après le renversement de la monarchie et l’arrivée au pouvoir de Nasser, l’armée qui détient une grande partie des pouvoirs tolère la confrérie. Mais celle-ci va de nouveau être réprimée en étant totalement interdite après la tentative d’assassinat de Nasser. En attendant la confrérie a fonctionné dans l’illégalité. 

Il faut attendre 1970 et la mort du président Nasser pour apercevoir la force politique ascendante des Frères musulmans dans la société. En effet, dans les années 80, le président Moubarak reconnaît les Frères en tant qu’organisation religieuse et se présentent par la suite aux élections sous l’étiquette d’indépendants pour finalement faire connaître un progrès. 

C’est en 2011 que la confrérie sort de sa semi-clandestinité grâce aux Printemps arabes et les conséquences dans le pays, et créé le Parti de la liberté et de la justice (PLJ) qui remporte par la suite les législatives. L’année suivant Morsi, représentant du parti, est élu premier président islamiste et civil élu démocratiquement.

Les objectifs assumés par la confrérie

A ce moment, la société attribut les Frères musulmans comme défenseurs de la pauvreté. Le mouvement forme alors un courant socio-politique populaire et pluraliste qui permet un choc réformiste des sociétés musulmanes et de l’histoire du monde arabe moderne. Ce courant regroupe en effet diverses classes sociales de musulmans comme des universitaires, des gens plus modestes, des ouvriers mais aussi des hommes d’affaires. Il réunit des hommes de toutes origines et vie différente pour former unité et cohésion. 

C’est ainsi qu’ils ont pu évoluer dans la société égyptienne et se trouver une place en tant que groupe politique islamique. Ils ont su résister aux obstacles et s’accoutumer face aux circonstances notamment en soutenant les mouvements populaires de lutte pour le respect des valeurs humaines et la liberté. La raison d’essor du mouvement fut donc possible par l’ouverture d’esprit qu’ils entretenaient pour réunir différents points de vue. 

La vision que les Frères musulmans ont de la société musulmane mais aussi du monde a changé au fil du temps. Cela va de paire avec leurs progrès et aux circonstances objectives qui les ont faits évoluer. Cela a donc permis à l’organisation de se développer en un large courant, s’adaptant à un environnement diversifié et pluriel, et faisant face à d’énormes pressions. 

L’implantation de la société des Frères musulmans

Le choc réformiste du mouvement des Frères musulmans dans les sociétés musulmanes

De cette façon, le mouvement s’est répandu dans la plupart des pays arabes de la région et a pu s’adapter aux exigences de chaque pays. En effet, le dispositif s’élargi grâce au soutien idéologique de la Turquie et de la Tunisie. La formation d’alliés, en l’occurrence Gaza et le Qatar, renforce d’autant plus leur dispositif. En effet, le Qatar accueille Youssef Al Quaradawi où il est réfugié. A ce moment, il était en exil de l’Egypte et le pays lui permet de continuer à diffuser l’idéologie depuis Al Jazeera, la chaîne qatarienne. 

Peu de temps après l’expansion du mouvement en Palestine, une confrérie jordanienne a été formée car la plupart des jordaniens sont palestiniens, les deux pays sont donc liés. En Irak, les Frères musulmans ont profité de la chute de Saddam Hussein pour s’infiltrer sur la scène politique. Puis, ils ont essayé de faire de même avec la crise syrienne pour trouver leur place définitive dans le monde politique. L’histoire différente de chaque pays permet à la confrérie de se développer différemment et devenir désormais politiquement matures. Cela permet aussi d’être représentés dans quasiment tout le monde arabo-musulman du Moyen-Orient au Maghreb. 

Au-delà de l’expansion politique territoriale, l’idéologie des Frères musulman comprend aussi l’idéologie qutbiste de Sayyid Qtub. Ce dernier radicalise la pensée d’al-Banna, notamment à travers les 50 demandes du programme des frères musulmans. Ces demandes concernent principalement une immixtion de la vie privée. Malgré cela, l’idéologie perdure et s’étend au même titre que les enjeux sociétaux évoluent. Les conséquences en résultant sont un plus grand nombre de membres dans le monde.

La diffusion idéologique à travers un développement en occident

La diffusion de l’idéologie s’implante alors en occident et les Frères musulmans s’installent en Europe. C’est durant les attaques du gouvernement égyptien que la confrérie cherche à s’étendre sur une nouvelle terre. Ils ont donc finalement réussi à venir en Europe. Tout d’abord en Suisse, pays neutre, les banquiers ne traquent pas Nasser. La confrérie en profite pour placer leur richesse, notamment les dons de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. C’est ainsi que le fils d’Hassan al-Banna et père de Tariq Ramadan, connue du monde occidental, a créé le Centre islamique de Genève. En Angleterre, les frères musulmans profitent de l’association musulmane. 

Mais c’est en France, à travers l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), que les musulmans expatriés ont trouvé un repère. Un organisme qui est une force représentative de l’Islam. Cette organisation d’apparence neutre prônant la liberté et les valeurs républicaines françaises dispose pourtant du même dictat que les Frères Musulman : « le Coran est notre constitution ». L’UOIF ne se cache donc pas et créer une situation délicate pour l’ensemble des musulmans de France. 

Les Frères musulmans disposent donc de moyens pour exercer leur influence. Ils ne cessent de chercher reconnaissance pour ensuite mettre en place leurs idées. C’est ainsi que Gérald Darmanin considère que leur réseau est aussi dangereux que le salafisme. Il existe donc un réseau international, organisé, et volontariste, des Frères musulmans, dont une forte présence en France qui représente un danger pour l’occident dans la mesure où la confrérie tente d’appliquer son projet contre le modèle occidental.

Une diffusion stratégique

Or, la confrérie des Frères musulmans cherche en réalité une reconnaissance mondiale. Cela leur permettrait de mettre en place le califat et conquérir le monde pour étendre l’islam au monde entier. Ils ne l’expriment pourtant pas de manière visible pour ne pas être suspectés et écrasés. C’est pourquoi ils tentent aujourd’hui de faire concorder leur discours et s’adapter aux nouvelles circonstances en défendant le féminisme. 

Désormais, l’islam reconnaît juridiquement la femme et lui octroie des droits qu’elle n’avait pas. L’organisation du mouvement est largement internationale. C’est pourquoi les pays pourraient s’aider pour s’opposer à l’action du mouvement. Au-delà de l’islam politique, c’est la protection de la démocratie dans l’intérêt des pays qui est en question. 

C’est ce que l’administration américaine a tenté en mettant en place des politiques islamistes d’interdiction des Frères musulmans, les qualifiant d’organisation terroriste. Il ne se s’agit pourtant pas forcément de la bonne solution. En effet, parler d’eux renforce a fortiori le dispositif élargi et leur équilibre sur la scène mondiale comme maison-mère de l’islamisme contemporain.

Un mouvement affaibli en marge de la société ? 

Un mouvement cyclique en déclin

Pourtant, en apparence forte et influente de par sa capacité politique ascendante au Moyen-Orient notamment, la confrérie des Frères musulmans est un mouvement sinusoïdale instable, en plein déclin et en marge de la société. En effet, le courant fut d’emblée en déclin dans son pays d’origine lorsque Morsi fut renverser et arrêter suite à des dérives d’autoritarisme, par l’armée dirigée par al-Sissi laissant place à de violentes attaques contre la confrérie. 

Finalement, malgré des années de combat, le gouvernement égyptien déclare en 2013 les Frères musulmans comme organisation terroriste. De façon générale, cela reste un mouvement interdit par les présidents égyptiens pendant la majeure partie de son existence. C’est pourquoi ses activités ont presque toujours été menées dans la clandestinité. Le mouvement connu donc sans cesse en alternance l’acceptation puis l’interdiction. Son sort est déterminé quand il reçoit le statut de terrorisme, faisant de lui un courant cyclique instable. Or la stabilité d’une organisation permet en principe une meilleure performance et la création d’un pouvoir assuré. 

Bien qu’elle connût quelques moments de force, la confrérie est désormais en profonde crise. En effet, la création et le partage de nouvelles idées pour essayer de faire revivre l’organisation sont délicats dans la mesure où les leaders de celle-ci sont âgés et où le principe de base de l’écoute ne permet donc pas à un grand nombre de jeunes d’être considérés. 

Une diffusion remise en cause

L’influence du mouvement des Frères musulmans dans la société égyptienne et les pays arabes a donc été grandement affaiblie. Au fil des ans, ils ont commis des erreurs stratégiques successives. Le fait même que de nombreux militants de la Confrérie aient été emprisonnés ou exilés. Autrement dit, ils se sont éloignés du pouvoir et des activités de l’organisation pendant des années. Cela n’améliorant en rien le sort de la confrérie. 

Le mouvement est désormais divisé en différentes visions et décrédibilisé politiquement. En effet, les Frères musulmans sont en perte de vitesse au Maroc. D’ailleurs, lors des élections de septembre 2021, ils sont passés de 125 à 12 députés, perdant plus de 80 % de leurs électeurs. Ils perdent également en importance en Tunisie. Là-bas, le président Kaïs Saïed a pris les pleins pouvoirs, marginalisant l’Assemblée dans laquelle ils détenaient la majorité relative. C’est aussi le cas au Yémen qui marginalise leur parti nommé al-Islah. C’est encore le cas au Soudan, où le gouvernement de transition qui a chassé Omar el-Bechir a interdit les Frères musulmans en 2020 car durant les trente années de sa dictature, son administration et les Frères musulmans ne faisaient qu’un. 

Finalement, leur sphère d’influence est aujourd’hui davantage en Europe occidentale. En effet, dans les pays arabes, leur influence politique a nettement diminué. Cela est en partie dû aux pouvoirs en place les combattant avec efficacité.

Que retenir de la confrérie des Frères musulmans ?

Ainsi, les Frères musulmans ont réussi en un siècle à devenir une confrérie religieuse à visée sociale et politique. De fait le monde arabo-musulman a connu un choc réformiste tant sur le plan social et politique. Ce qui a permis une diffusion de leur idéologie dans la région mais aussi en Europe. Les Frères musulmans se sont propagés en Occident et ont su convaincre les administrations européennes, américaines et françaises, qu’ils étaient la solution au « regime change« . C’est pourquoi il était dans l’intérêt de ces pays de faire cette concession pour améliorer les relations avec le Moyen-Orient. 

Le mouvement a donc su s’implanter jusqu’en Europe mais les Frères musulmans n’ont pour autant pas une place homogène. Il est vrai que le courant a connu de nombreuses phases au sein de l’échiquier politique égyptien ce qui fait de lui un mouvement cyclique instable qui est sur certains points déconnectés de la société. Le courant a donc connu quelques temps de gloire pour finalement basculer en arrière-plan. Peut-on désormais imaginer le retour des Frères musulmans à la tête d’un pays dans le contexte géopolitique international actuel ? 

Il est intéressant de comparer ce mouvement aux différents courants totalitaristes du XXe siècle. En effet, que ce soit le nazisme, le fascisme, tous ces mouvements sont nés à la même période. A ce jour, la montée des extrêmes droites est concrète dans les pays développés et en voie de développement. Dès lors, si elles réussissent à se faire une place sur la scène internationale, pourquoi la confrérie des Frères musulmans ne pourrait-elle pas en faire de même ?

Bibliographie

  • Amr Elshobaki, Les Frères musulmans des origines à nos jour, 2009 ;
  • Olivier Carré et Michel Seurat, Les Frères musulmans (1928-1982), 1983 ;
  • Bernard Rougier, Les Territoires conquis de l’islamisme, 2021 ;
  • Documentaire Michaël Prazan, « La Confrérie, enquête sur les Frères musulmans », France 3.

Lou Chretien, rédactrice géopolitique