Le droit dans Harry Potter : quelles institutions dans l’un des mondes magiques les plus connus de la littérature ? Harry Potter est une histoire de fiction, un univers fantastique et un récit initiatique, mais Harry Potter est aussi un monde avec des règles propres à lui. Son autrice, J.K. Rowling, a développé un système politique et légal complexe qui régit les relations entre les personnages de son œuvre. Durant sa conférence à l’école des Hautes Études Internationales et Politiques (HEIP), le (juriste/professeur) Camille Chapuis analyse l’œuvre à travers le prisme du droit et de la science politique. Cet article est une restitution de cette présentation, conférence qui a eu lieu en avril 2024 à l’école HEIP Lyon.
Le droit dans Harry Potter et le secret comme nécessité
La première règle fondamentale du fonctionnement de ce système est le devoir de garder secrète l’existence de la magie et des sorciers. Le Statut de Secret Magique est le traité international qui institue cette règle. Les sorciers sont donc défendus de révéler leur existence, celle de la magie ou des créatures magiques aux non-sorciers, appelés « moldus ».
Ainsi, l’objectif était d’éviter les persécutions des humains non-initiés à la sorcellerie et les peurs irrationnelles des deux communautés. Néanmoins, sorciers et moldus partagent un même espace géographique. En effet, l’école de sorcellerie de Poudlard est un château, un lieu physique donc, en Écosse. Dans cet univers, il est simplement invisible et inatteignable pour les non-sorciers. Il est même « incartographiable » : dans le monde moldu, il ressemble à un tas de ruine sur une île dont personne ne doit s’approcher.
Les prémisses d’un système d’apartheid
Par ailleurs, la séparation entre les deux communautés prend également forme dans le droit. Du fait de leur pratique de la magie, les sorciers sont soumis à un droit différent des moldus. Certes, la séparation entre droit de sorciers et des moldus pourrait être une mesure de protection mutuelle, voulue plutôt qu’imposée par une partie sur l’autre. Cependant, la dualité des systèmes législatifs crée tout de même un apartheid souvent en défaveur des sorciers. En effet, les sorciers sont soumis à deux droits différents contrairement aux moldus que gouverne leur seul État. Cela revient à l’histoire de la création de l’État magique.
Harry Potter partage ici des similitudes avec le système romain. Au début de la République de l’Empire romain (590 avant notre ère), les patriciens, citoyens romains, et les plébéiens n’étaient pas soumis au même droit. Par conséquent, les patriciens s’obstinaient à garder leur sang pur. On retrouve ce thème dans Harry Potter à travers le personnage de Voldemort qui valorise les sorciers n’ayant pas mélangé leur sang aux moldus.
Les institutions magiques et le droit dans Harry Potter
L’apparition d’un État magique
Si les deux communautés sont séparées, cela n’empêche pas les sorciers de reprendre des éléments des gouvernements moldus dans leur propre modèle. Ainsi, on retrouve chez les sorciers des structures étatiques qui interagissent au sein d’organisations internationales. La Confédération internationale des sorciers est l’équivalent de l’Organisation des Nations unies dans l’œuvre. La première réunion est tenue en France, peu avant 1692. Il est intéressant de voir que le Liechtenstein, qui n’a pas d’école de la sorcellerie, participe à la réunion.
Au niveau national, le Ministère de la Magie est l’équivalent de la structure étatique. Basé à Londres, le ministre de la Magie est à la fois chef d’Etat et de gouvernement. Il dirige les chefs de départements aux fonctions similaires aux ministères moldus. Le département des accidents et catastrophes magiques équivaut au ministère de l’Intérieur. De même, celui de la coopération magique internationale a les fonctions du ministère des Affaires étrangères. Toutefois, le département des mystères est une exception, sa fonction est vague et il ne répond pas aux autres départements. Sa nature secrète laisse imaginer qu’il serait le centre du pouvoir dans Poudlard. La Raison d’État imposerait de garder ce lieu secret vu l’importance qu’il revêt pour la souveraineté de l’institution.
Quel statut pour Poudlard ?
En outre, l’école de sorcellerie ne dépend pas directement du Ministère de la Magie. En effet, l’établissement suit le modèle de l’institution privée sous contrat. Son directeur est nommé par un conseil d’administration et non par le Ministère. De plus, le refus de donner l’épée de Gryffondor à Harry après la mort de Dumbledore corrobore cette idée. L’épée est considérée propriété de Poudlard et non de l’Etat.
Il est intéressant de voir que la plus ancienne institution de sorciers est une initiative privée visant d’abord à protéger les sorciers des persécutions par les moldus. Le Ministère de la Magie, l’institution publique donc, n’apparaît que bien plus tard, en 1707. La même année, sous le règne de la reine Anne, l’Acte d’Union proclame l’union du Royaume-Uni d’Angleterre et d’Écosse. Par conséquent, cela appuie l’idée que les deux mondes, sorciers et moldus, évoluent ensemble, mais séparément.
Les modèles de domination dans le droit de Harry Potter
On peut aussi analyser les instituions magiques à l’aune des trois types de domination tels que décrits par le sociologue Max Weber. D’abord, le Ministère de la Magie fonde sa domination traditionnelle sur une longue histoire et des traditions chevaleresques et guerrières.
Dans cet univers, le Ministre de la Magie et les chefs des départements incarnent cette autorité. D’une part, ils occupent des fonctions reconnues importantes et légitimes. D’autre part, leur maîtrise de la magie et leur puissance est également un facteur déterminant.
Entre légitimité charismatique et personnalités fortes
La domination charismatique est personnifiée par le personnage d’Albus Dumbledore. Ce dernier crée « l’Ordre du Phénix » après le refus du ministre de la Magie d’admettre le retour de Voldemort. Cette forme d’autorité découle du charisme d’un chef qui par ses facultés magiques, sa puissance d’esprit ou de parole entraîne la dévotion et la fidélité de ses disciples. Elle ne repose ni sur une légitimité traditionnelle, ni historique ni institutionnelle. Dans ce cas précis, Dumbledore incarne un ordre rebelle de sorciers puissants s’opposant à l’ordre établi par Voldemort.
Le Bien et le Mal s’affrontent dans une logique presque religieuse. L’Ordre du Phénix est également un mouvement de résistance à la collaboration entre le Ministère de la Magie et Voldemort. Il rappelle ainsi la résistance française, entre autres, réunie sous la figure du général de Gaulle.
La domination rationnelle-légale de Weber dans Harry Potter
Enfin, le Ministère exerce son autorité à travers une structure bureaucratique complexe reposant sur un ensemble de règles et de procédures. C’est la domination légale. Le Ministère a développé un système légal et judiciaire qui est censé rendre les décisions prévisibles et impartiales. Pourtant, ce même système échoue à juger Voldemort et lutter contre la menace qu’il représente. En effet, les règles deviennent un frein à la mise en place d’une réponse flexible et dynamique à la menace. Là où Voldemort n’hésite pas à utiliser des sorts interdits, les sorciers s’obstinent à respecter la légalité.
À cet égard, Harry Potter incarne un rôle similaire à Dumbledore en utilisant à la fois de la Magie noire et « légale ». Il bouscule par ce biais les traditions et l’ordre établi. Si Harry Potter présente des similitudes avec notre monde réel dans son système juridique, ses institutions et leurs interactions, il existe également des parallèles avec les relations internationales dans l’œuvre de J.K. Rowling. Nous aborderons cette thématique dans un prochain article