Actualité du 9 avril 2024 : les élections au Sénégal
Les élections au Sénégal ont beaucoup fait parler d’elles. En réalité, elles semblent apporter un grand changement dans la démocratie de l’Afrique de l’Ouest. Analyse de l’actualité.
Bassirou Diomaye Faye a prêté serment ce mardi 2 avril après sa victoire à la présidentielle du 24 mars. À l’issue du scrutin, le nouveau chef d’Etat sénégalais a rassemblé 54,28 % des voix. Amadou Ba, candidat du parti créé par le président sortant Macky Sall, a quant à lui reçu 35,79 % des votes. Cette élection a eu lieu dans un contexte d’instabilité politique qui menaçait sa tenue-même.
Les élections au Sénégal : une opposition noyée dans les affaires judiciaires
Déjà en 2017, durant les élections législatives, on écarte deux des principaux candidats de l’opposition en raison de poursuites judiciaires. Le premier, Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, se voit condamné à six ans de prison ferme. Il doit également 138 milliards de franc CFA (210 millions d’euros) pour « enrichissement illicite ». Le second, Khalifa Sall, alors maire de Dakar, est pour sa part condamné en 2018. Il écope de cinq ans de prison pour « escroquerie sur deniers publics ».
Ousmane Sonko, président du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), fait également l’objet de poursuites judiciaires à partir de 2021. L’employée d’un salon de beauté qu’il fréquentait l’accuse de viols et de menaces de mort avec une arme. En réponse, l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2019, où il arrive troisième, nie les accusations et dénonce une « machination politique ». Son arrestation le 3 mars 2021 déclenche de violentes manifestations avec des affrontements entre de jeunes manifestants et les forces de l’ordre.
Cet épisode, qui se solde par la mort de 13 manifestants, n’est que le premier d’une série de violences qui se déferlent à chaque tentative d’écarter Ousmane Sonko. Ainsi, en 2023, la justice condamne une nouvelle fois l’opposant. Cette fois, pour « corruption de la jeunesse ». Attenter aux mœurs, favoriser ou faciliter la « débauche » ou la « corruption » d’un jeune de moins de 21 est un délit pouvant rendre le condamné inéligible aux élections. Les heurts résultant de la condamnation font 15 morts parmi les manifestants. Malgré le bilan croissant de victimes, le président du Pastef est arrêté le 28 juillet 2023, dans le cadre de la première affaire, et déclaré inéligible à se présenter à la prochaine élection.
La tenue des élections au Sénégal menacée
Au-delà de la persistance des pouvoirs publics à écarter les candidats de l’opposition, Macky Sall a laissé planer le doute sur sa candidature à un troisième mandat. Ce n’est qu’au 1er juillet 2023, qu’il annonce de ne pas se présenter à sa réélection. Rappelons que l’ancien chef d’Etat a introduit la limitation à deux mandats présidentiels dans une révision constitutionnelle approuvée par référendum en 2016. Par ailleurs, le 3 février, Macky Sall annonce le report du scrutin alors prévu le 25 février. Il le justifie par les accusations de corruptions à l’encontre de deux juges membres du Conseil constitutionnel. De nouveau, des manifestations sont réprimées et font trois morts. Saisis par des députés d’opposition, les sept juges constitutionnels annulent ce report et « invitent les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais ».
Macky Sall tente tant bien que mal de maintenir le report jusqu’au 2 juin, mais fait face à l’opposition des sages. Ces derniers rejettent la décision qui signifierait une prolongation du mandat présidentiel. Après moult péripéties, la campagne débute enfin le 9 mars et dure deux mois. Se déroulant durant le mois de ramadan dans un pays à 95 % musulman, l’État organise peu de meetings de grande envergure. C’est dans ce contexte qu’arrive sur le devant de la scène Bassirou Diomaye Faye. Inspecteur des impôts et domaines et numéro 2 du Pastef, il est libéré au même moment qu’Ousmane Sonko le 14 mars dernier, soit à neuf jours du scrutin.
La campagne expresse de Diomaye et son programme
Bassirou Diomaye Faye a su capitaliser sur la popularité d’Ousmane Sonko, dont il ne nie pas être candidat de substitution. En effet, le candidat a axé sa campagne autour du slogan « Sonko c’est Diomaye, Diomaye c’est Sonko ». Dans une interview accordée à Le Monde, l’ancien inspecteur des impôts déclarait une information capitale. « Ousmane Sonko est le porteur d’un projet qui n’est pas fusionné avec sa personne. Quelqu’un doit pouvoir reprendre le flambeau s’il est empêché ». Après son investiture le 2 avril, le nouveau président a nommé le chef de file du Pastef au poste de Premier ministre.
Faire face au chômage : une priorité nationale dans les élections au Sénégal
Désormais aux rênes du gouvernement, le duo devra mettre en œuvre sa politique ambitieuse de « changement systémique ». Au niveau interne, l’exécutif s’attaquera au chômage qui sévit au Sénégal. En effet, malgré la croissance qu’a connu le pays durant la décennie précédente (7,4 % en 2017), celle-ci ne se répercute pas dans la création d’emploi.
Ainsi, avec 75% de la population en dessous de 35 ans, le taux de chômage s’élève à 20 %. Diomaye, dont les jeunes sont les principaux électeurs, devra répondre à leurs attentes à ce sujet. La lutte contre la corruption sera également au cœur de sa politique intérieure.
Construire des relations plus équilibrées
Au niveau externe, le nouveau président a annoncé son ambition de renégocier les contrats miniers et d’exploitation pétrolière et gazière. L’objectif serait de rééquilibrer ces accords dans une vision « gagnant-gagnant », en particulier avec la France. Premier investisseur étranger au Sénégal, près de 250 entreprises françaises s’y installent, mais pas toujours sous un regard bienveillant. Ainsi, durant les multiples épisodes de manifestations, on constate des attaques récurrentes dans les supermarchés Auchan et des stations-services Total. Néanmoins, Diomaye a rassuré les investisseurs peu après son élection : le Sénégal « restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ».
Autre promesse : sortir du franc CFA. Le président avait d’abord proposé une sortie unilatérale avant de se rétracter en préférant une décision au niveau de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). A cet égard, Diomaye compte œuvrer à la réintégration du Mali, Burkina-Faso et Niger dans l’organisation après leur suspension suite à la prise de pouvoir de juntes militaires. Enfin, le président a déclaré n’exclure aucun partenaire dans le cadre de coopérations sécuritaires. Le Sénégal en a déjà conclu avec la France, l’Union européenne et les Etats-Unis, mais il pourrait les étendre à la Russie, un acteur à l’influence croissante dans la région. Pour le moment, ce programme dense ne peut être mis en œuvre sans l’appui d’un Parlement uni. Ce sera l’un des premiers défis pour Bassirou Diomaye Faye qui pourrait recourir à la dissolution de l’Assemblée nationale.